George Visser
Le E-mtb, plaie ou panacée?
Updated: Oct 21, 2019
Mon premier vélo de montagne était un Norco Bigfoot que j’avais acheté chez Cycles St-Onge en 1987. J’avais 15 ans et j’ai tondu une surface incalculable au Camping Parc Bromont pour l'obtenir. J’ai grandi dans la frugalité dès la naissance: la température au 58 Champlain dépassait rarement les 15 degrés l’hiver, à moins de se coller sur le poêle à bois. Et si on osait se plaindre du froid, on se faisait répondre de mettre une laine de plus. Mes parents avaient fait le pari d’immigrer des Pays-Bas avec quelques florins en banque et de se lancer en affaires en bâtissant un terrain de camping. C’était le début des années 70. Assez fou lorsqu’on considère qu’ils maîtrisaient peu le français et qu’ils devaient nourrir trois bébés affamés.
Ceux qui m’ont connu jeune savent que j’ai toujours eu un penchant pour la délinquance. Heureusement mes parents m’ont inculqué ce qu’il fallait car je n’en serais pas où j’en suis aujourd’hui. Ma découverte du vélo de montagne découle directement de mon père qui s’est procuré un vélo à pneus cramponnés pour la praticabilité de la chose : les chemins de son vaste camping étaient en gravier et il accédait rapidement les différents secteurs par des sentiers à travers la forêt. Il a eu l’audace d’inscrire mon frère et moi à une course de vélo de montagne au Mont-Sainte-Anne dès qu’on s’est équipés. De là s’est dessiné un parcours inespéré pour deux ados en pleine quête d’identité: des commanditaires, des voyages et courses sur plusieurs continents, une couverture médiatique, des rencontres, aventures et paysages inoubliables… bref, un style de vie qui nous a permis de canaliser cette énergie débordante et qui nous a vite fait comprendre qu'en appliquant persévérance à passion, tout devient possible.
32 ans plus tard et j’ai toujours le vélo de montagne dans les trippes. Le sport a beaucoup évolué tant au niveau technologique qu’au niveau des infrastructures, mais l’essence de celui-ci demeure la même: l’exercice, la nature et l’adrénaline.
J’ai découvert le vélo de montagne électrique un peu par hasard en 2016. Un ami représentant m’avait suggéré d’essayer son démo et j’ai immédiatement été saisi par la puissance en montée. Bref, j’ai complété une boucle qui prend normalement 3 heures en moins d’une heure et demi. Les yeux sortant de leurs orbites, j’ai remis le E-mtb à mon ami en lui confiant qu’une révolution se dressait à l’horizon. Ceci étant dit, je ne me voyais aucunement comme un des précurseurs de cette nouvelle discipline. J’avais encore la fibre du puriste alors plus j’y pensais, plus le débat de conscience m’accablait. Imaginez, j’avais passé trois décennies à cultiver l'image d’un athlète qui repoussait ses limites de façon purement physique alors pourquoi brouiller celle-ci? C’était juste plus simple de m’abstenir et laisser les autres frayer ce chemin.
Octobre 2019 : je me considère désormais comme un des précurseurs du E-mtb au Québec. Plus de la moitié de mes sorties cette année étaient électriquement assistées. Une de celles-ci consistait aux Championnats du Monde inaugural de E-mtb au Mont-Ste-Anne où j’ai couru contre d’ex-champions olympiques et mondiaux. Bref, une expérience qui restera gravée à jamais dans ma mémoire au même titre que les premiers Championnats du Monde de mtb à Durango en 1990.
Comme on dit : il n’y a que les fous que ne changent pas d’idée!

Toutes catégories de vélo confondues, les vélos électriques à pédalage assistée est celle qui connaît la plus forte croissance depuis quelques années. Par conséquent, d’un point de vue purement économique, l’industrie a tout intérêt à capitaliser sur ce nouveau segment de marché. Et la motivation est grande. En ce qui concerne les E-mtb, le défi d’acceptabilité repose essentiellement sur l’accès et l’infrastructure. Plusieurs craignent que les E-mtb pourraient compromettre le statut d’utilisateurs à faible impact tant défendu par les cyclistes de montagne. L’ironie, c’est que le discours d’aujourd’hui ressemble étrangement celui des années 80 avec les premiers vélos de montagne qui empruntaient les chemins équestres et sentiers de randonneurs! En se basant strictement sur les faits, il a été démontré qu’un E-mtb va plus ou moins transformer un cycliste de niveau moyen à rouler comme Nino Schurter. L’impact additionnel sur les sentiers? Presque négligeable. Mais le débat d’accès a tout de même sa raison d’être considérant que la popularité ne cesse d’augmenter. Il faut également reconnaître que cette croissance se traduit par plus de gens en vélo, voire des gens qui n’auraient peut-être pas été prédisposés à en faire. Et une augmentation de cyclistes signifie une population plus active et, du coup, plus de voix réclamant des infrastructures de meilleure qualité.
Alors le E-mtb, plaie ou panacée? En tant qu’ex-puriste, j’ai peu de misère à comprendre le dégoût manifesté par certains qui doivent partager leurs endroits préférés avec des utilisateurs qui n’ont pas eu à investir le même effort pour s’y rendre. Personnellement ça m’a pris du temps à faire ce virage. Mais au fond, pourquoi priver ces nouveaux cyclistes d’explorer des endroits qui étaient jusque-là inaccessibles? Pourquoi les empêcher de vivre une expérience agréable dans la nature en plus d’améliorer leur situation et celle de la société s’ils sont portés à être plus en santé? En considérant l’ensemble des arguments et faits, j’en suis finalement venu à la conclusion qu’adopter une telle attitude relève plutôt de l’élitisme. Je ne crois cependant pas qu’on devrait permettre aux E-mtb de circuler librement n’importer où, tout comme ce serait une erreur de les bannir. Il existe un équilibre pour une cohabitation acceptable et celle-ci passe par un minimum d’encadrement, de politique et d’éducation sur l’éthique des sentiers. C’est pour cela que je garde une oreille attentive sur ce qui se fait ailleurs (IMBA, par exemple), que j’en discute ouvertement avec les cyclistes et que je choisis de m’impliquer pour assister les organismes de sentiers de vélo dans leur démarche vis-à-vis les E-mtb.
Bonne randonnée, assistée ou non!