George Visser
Mea Culpa et l’ère du Changement.
Je m’emmerdais dans mon cubicule et je me questionnais sur mes choix de carrière lorsque quelqu’un m’a tapé sur l’épaule. J’avais 30 ans et ça faisait 2 mois que j’avais commencé ma première ‘’vraie’’ job à titre d’ingénieur. J’avais réussi jusque-là à reporter la nécessité de travailler en me gardant sur un respirateur financier grâce à mes commandites, à des bourses et à diverses subventions. La tape venait d’un dirigeant de l’entreprise; j’étais certain qu’il avait compris que je faisais tout sauf travailler et que je venais d’échouer ma probation. ‘’Il paraît que t’es en forme?’’ m’a-t-il demandé. J’étais habitué à ce genre de question mais j’ignorais que cette caractéristique me procurerait un billet d’entrée dans un monde fascinant; l’entreprise cherchait quelqu’un d'assez fou pour évaluer la stabilité structurale des éoliennes d’un parc en Gaspésie. Le mandat consistait à analyser un échantillon suffisamment représentatif des 133 éoliennes et le tout se faisait via une échelle qui permettait de gravir les 55 mètres verticaux avec 30lbs d’équipement sur le dos. C’était par un temps sibérien - hiver 2001. J’ai adoré le défi et il n’y a plus eu de questionnements par la suite sur mes choix de carrière.
Le parcours professionnel qui a suivi a pris plein de détours mais le filon conducteur est demeuré le même: les renouvelables. Fidèle à ma nature obsessive, je me suis donné corps et âme à développer des projets éoliens, hydroélectriques et solaires. Ce fut loin d’être un long fleuve tranquille : J’ai croisé un grizzly en installant des mats de mesure dans les Rocheuses, j’ai reçu des menaces de mort d’un braconnier, j’ai été mordu par le chien enragé d’un archéologue, je me suis retrouvé coincé seul dans une forêt loin de toute civilisation, j’ai failli être emporté par une rivière déchaînée, j’ai été traité d’Antichrist par un octogénaire, un chef autochtone a comparé l’un de mes projets à une croisade colonisatrice, j’ai personnellement subi le discours passif-agressif d’un leader syndical surnommé Rambo et j’ai littéralement sacrifié ma santé à gérer la construction d’un parc éolien impossiblement compliqué.
Mis à part ces situations pour le moins désagréables, je ne regrette rien. Au contraire, je me sens béni d’évoluer dans un secteur où je me lève le matin en me disant que je contribue à rendre la planète un peu meilleure. Et j’essaye d’être cohérent avec ce principe en adoptant quotidiennement la liste bien établie d’habitudes qui minimiseraient mon empreinte environnementale : je recycle, je ferme mes lumières, je baisse mon chauffage, je prends mon vélo ou je marche lorsque l’auto n’est pas nécessaire, j’évite le plastique à usage unique, j’apporte mes sacs réutilisables à l’épicerie, etc.
Mais dernièrement je réalise que ce n’est pas assez. Loin d’être assez. J’aime donc manger mon steak médium-saignant…

L’utilisation des animaux comme solution alimentaire est de loin l’activité la plus destructrice de l’homme et elle représente une menace absolument catastrophique pour le climat. C’est une source majeure de gaz à effet de serre, plus encore que toutes les formes de transport combinées. De plus, l’industrie alimentaire animale est reconnue comme étant le plus grand consommateur d’eau douce au monde et le plus grand pollueur d’eau douce au monde. L'enjeu le plus critique est qu’environ 50% de la surface terrestre sert pour le pâturage du bétail ou à cultiver la nourriture pour ce dernier. Cette empreinte vient au détriment de toute la biodiversité qui occupait cette surface auparavant. Au cours des 40 dernières années, l’activité humaine a contribué à éradiquer pratiquement le tiers des espèces qui vivaient sur la planète et ce sans exception : mammifères, oiseaux, reptiles, amphibiens, poissons, voire même les insectes. Si ces statistiques ne vous font pas cracher votre boulette d’agneau, la prochaine fera peut-être l’affaire : cette tendance destructrice se produit non seulement à un rythme effréné mais elle continue à s’accélérer. Les moteurs principaux derrière ce vecteur est l’empreinte de la culture agro-animale et le fait que la demande croît encore plus vite que la population!
Vous aurez deviné qu’en ce qui me concerne, la prise de conscience est réussie. Je fais quoi maintenant? Être conscient sans faire quoi que ce soit pour contrer le problème n’est pas plus aidant qu’être climatosceptique. Être cynique équivaut à abandonner et ce verbe est généralement banni de mon vocabulaire. Mais parvenir à adopter une alimentation exclusivement à bases des plantes semble être une épreuve compliquée et… démasculinisant? Je m’imagine à mon prochain BBQ de boys à griller ma puck aux lentilles entre des T-bones de 20 onces. Outre le goût et la texture de la viande qui m’interpellent tant, qu’en est-il de l’apport en fer et protéines dont j’ai tant besoin pour survivre? Bref… AU SECOURS!
J’exagère. Je serais d’un doté d’un QI inférieur à mon âge pour ignorer qu'il existe une panoplie d’alternatives nutritives et savoureuses qui pourront amplement substituer la viande. Plusieurs gens que j’admire, voire des athlètes phénoménaux, sont vegan depuis belle lurette. Et rendu où j’en suis, je me fous passablement de ce que les autres pensent de mes choix. Mais la prise de conscience à elle seule est insuffisante pour changer les habitudes les plus tenaces et elle est inefficace pour réussir à déjouer la loi du moindre effort. Permettre une telle transformation doit donc répondre, du moins partiellement, aux 3 éternelles questions: Qui suis-je? Pourquoi suis-je ici? et Qui veux-je être?
Loin de moi l’idée de vouloir répandre un nuage gris sur le destin de notre planète ou de générer une attitude défaitiste par rapport aux difficultés à surmonter. La peur détruit les rêves et tue les ambitions. Je suis plutôt du genre à tourner vers le ridicule pour alléger la crise tout en cherchant l’opportunité qui se cache derrière celle-ci. À cet effet, je trouve intéressant et inspirant le contexte qui est en train de se développer. Que ce soit les documentaires-chocs qui sortent en série (Cowspiracy, The Game Changers, etc.), le mouvement issu du discours de Greta Thunberg, l’omniprésence du climat dans les débats politiques, la conscience environnementale qui s’introduit dans les missions de multinationales, les nouvelles technologies alimentaires non-animales de plus en plus probantes, etc. Certes, il reste beaucoup de chemin à faire pour freiner, voire renverser, la tendance actuelle. Mais une lueur apparaît lorsque j’entends des sommités mentionner que le sentiment d’urgence planétaire qui se manifeste pourrait enfin créer le changement de paradigme requis pour y parvenir. Sans expressément regarder à travers des lunettes roses, on pourrait se demander si l’opportunité qui se dresse prendrait la forme d’un rapprochement global vers un but commun qui consiste à sauver notre seule et unique planète? Et malgré les probabilités soit-dites minces, si on réussit ce virage majeur, ne serait-ce pas le plus grand défi que l’humanité aura surmonté et LA leçon à transmettre aux générations futures? D’un coup qu’on réussit ce pari, ne serait-il pas incommensurablement gratifiant de reconnaître qu’on y ait activement contribué?
Donc je me lance. Je sors de mon cubicule. Je prends le taureau par les cornes et je le balance par la fenêtre. Je débarrasse mon frigo et mon garde-manger de tout apport animal. Je remise le couteau dentelé et je m’attable seulement avec une fourchette. Cold Turkey mais sans Turkey. Mes enfants? Ils rouspéteront sur le coup mais, selon ce que j’en déduis, ils me remercieront plus tard. Les experts et convertis disent qu’une alimentation à base de plantes a un impact instantané et incroyablement bénéfique sur la santé physique et mentale de l'individu. Je vais éventuellement opiner là-dessus, c’est certain. D’ici-là, si vous aviez des recettes/suggestions à partager avec un néophyte qui a le nez collé dans le guidon du quotidien, je les accepterais volontiers et je vous en serais immensément reconnaissant!
Bon appétit et longue vie à notre chère Terre Mère!